Julien de Pannonie d’après le texte d’
Aurelius Victor: un ‘corrector’ ?
Une série de notes (en anglais) sur l’usurpation de Julien de Pannonie a été mise en ligne sur ce site (
Forum Ancient Coins), conclue
par une note proposant une nouvelle lecture du passage du texte d’
Aurelius Victor considéré comme indiquant la charge occupée
par l’usurpateur lors de sa rébellion à l’automne 283 de notre ère. (Livre
des Césars, § 39, 10, deuxième phrase).
Dans la mesure où les deux plus récentes traductions du Livre
des Césars sont en français et en anglais il peut être utile d’avoir une version en français de cette nouvelle lecture du passage en question. L’essentiel de l’argumentaire, en anglais, qui l’accompagnait est repris ci-après en français.
1. L’affirmation traditionnelle selon laquelle Julien de Pannonie aurait été ‘corrector’ (gouverneur) de Vénétie a mis en opposition certaines sources antiques (‘corrector’ ou préfet du prétoire) et a rendu incertaine la chronologie de cette usurpation. Elle aurait demandé, pour être assurée, que le texte d’
Aurelius Victor contînt à tout le moins une formule du
type ‘Venetiae correcturam ageret’ ou ‘Venetiae corrector’ ou simplement le terme ‘corrector’. Ce n’est pas le cas. La phrase d’
Aurelius Victor est beaucoup plus ambigüe: ‘cum Venetos correctura ageret’ avec un ‘cum’ qui n’est pas temporel mais causal en lien direct avec ‘processerat’.
Cette lecture traditionnelle (sous l’influence de la prosopographie ?) introduit, de façon peu vraisemblable, un élément purement institutionnel/administratif dans un texte rapportant essentiellement les marches et contre-marches
des deux adversaires. Elle prive aussi le texte de la confirmation que la rébellion a bien débuté en Illyricum (
Siscia), puis s’est développée vers l’Italie via la Vénétie, pour s’achever
par une défaite dans les environs de Vérone. Enfin elle fait disparaître du texte d’
Aurelius Victor une opinion et/ou une caractérisation, mentionnée en
passant, de la rébellion considérée comme une ‘correctura’.
2. Le contexte, le texte et la terminologie (le terme de ‘correctura’) font pourtant apparaître un traitement succinct mais pré
cis, et favorable, de la tentative de prise du pouvoir de Julien de Pannonie s’opposant ainsi au ‘tyran’ Carin.
a) Le contexte historique du Livre
des Césars, rédigé à un moment où les relations entre le quasi-homonyme du IVéme siécle, Flavius
Claudius Julianus (avec une possible allusion à la situation contemporaine de celui-ci en butte aux mauvais conseillers de Constance) et Flavius Julius Constantius se dégradent, rend encore plus difficile le traitement d’une usurpation, toujours délicat pour les auteurs antiques en raison de la question très sensible de la légitimité et de la rareté
des informations. Toutefois le sujet devient plus aisé à traiter si l’empereur légitime est considéré comme un ’tyran’ - c’est le cas de Carin-; l’usurpateur s’opposant à un tyran -c’est le cas de Julien de Pannonie- pouvant alors être considéré de façon relativement favorable. La prudence restant néanmoins de mise, le texte d’
Aurelius Victor comporte, pour évoquer la rébellion, une litote, un euphémisme et une omission; une litote pour présenter les habitants de la Vénétie comme instrumentalisés
par Julien de Pannonie; un euphémisme pour qualifier la tentative de celui-ci de ‘correctura’ alors qu’il s’agit bien en réalité d’une usurpation; une omission de la fonction de Julien de Pannonie pour ne pas faire l’éloge d’un préfet du prétoire, tout compte fait, déloyal.
b) Le texte d’
Aurelius Victor comporte trois phrases au sujet de la rébellion, essentiellement consacrées aux mouvements
des adversaires. La première rapporte, sur un
ton neutre, la réaction rapide de Carin se dirigeant d’abord vers l’Illyricum où a éclaté la rébellion, puis obliquant vers l’Italie. Une deuxième phrase indique que c’est en Italie que l’
armée de Julien de Pannonie a été défaite et que celui-ci a été tué. Alors que les éléments essentiels constitutifs de l’usurpation ont déjà été mentionnés (nom de l’usurpateur, date de la rébellion, lieux du début et de la fin de celle-ci), une troisième phrase reprend favorablement le développement de la rébellion, maintenant du point de vue de Julien de Pannonie, en donnant sa motivation et en mêlant sa marche vers le pouvoir
impérial avec son avancée vers l’Italie du Nord dans le temps où Carin était en mouvement afin de le combattre.
c) Le terme ‘correctura’ est utilisé pour qualifier positivement,
par euphémisme, la tentative de Julien de Pannonie. Celui-ci, qui a été loyal du vivant de
Carus, un ‘bon’ empereur dont il était probablement un
des compagnons, s’est révolté rapidement après la mort de
Carus contre son fils Carin, un ‘tyran’. Le mot ‘correctura’ est utilisé, dans le cas présent, non pas pour indiquer une éventuelle fonction de ‘corrector’ de Julien de Pannonie mais dans un sens plus large,
par synecdoque : il s’agit de l’ensemble
des mesures de redressement qu’ un ‘corrector’ est supposé prendre au niveau régional mais transposé au niveau de l’Empire et avec un sens politique beaucoup plus général parce que mis en œuvre
par un empereur. Couvrant la période où Julien de Pannonie est encore en route vers le pouvoir
impérial le terme ‘correctura’ définit donc son projet politique (repris, entre autres,
par le
revers LIBERTAS PUBLICA de ses
aurei) consistant en un retour à une ‘bonne gouvernance’ en opposition au ‘gouvernement tyrannique’ de Carin. C’est ce projet qui lui a permis d’entraî
ner les habitants de la Vénétie (ou leurs représentants influents civils et militaires) dans son action.
3. La nouvelle lecture du passage du texte d’
Aurelius Victor (Livre
des Césars § 39, 10) pourrait donc être la suivante : « Là (en Italie), après avoir bousculé son
armée, il tue Julien. En effet, celui-ci, très désireux à la suite de l’annonce de la mort de
Carus de s’emparer du pouvoir
impérial, puisqu’il entrainait les habitants de la Vénétie
par son action pour une bonne ‘gouvernance’, s’était avancé à la rencontre de l’ennemi qui approchait » .
Cette lecture préserve la
cohérence du texte relatant principalement
des mouvements militaires en expliquant pourquoi Carin en marche vers l’Illyricum, où la rébellion a éclaté, a ensuite fait un détour en Italie (selon les indications fournies précédemment
par le Livre
des Césars § 39, 9.), où les troupes de Julien de Pannonie ont entretemps progressé. Elle confirme que la marche de Julien de Pannonie vers le pouvoir
impérial après la mort de
Carus, est liée à sa progression vers l’Italie du Nord à partir de l’Illyricum (
Siscia). Enfin elle conserve au texte l’appréciation synthétique et prudente mais positive qui y est
portée sur la tentative de prise de pouvoir
par Julien de Pannonie, à savoir une action pour une ‘bonne gouvernance’, en opposition à un ‘tyran’.
4. Cette nouvelle lecture réduit fortement les divergences entre les sources antiques. Elle permet même de considérer qu’elles se confortent les unes les autres. Elle confirme l’expansion de la rébellion éclatant en Illyricum (texte d’
Aurelius Victor et monnayage de Julien de Pannonie à
Siscia) puis se développant vers l’Italie du Nord en ralliant les représentants
des Vénitiens (texte d’
Aurelius Victor et texte de Zosime -rôle
des commandants de légions italiens-) pour s’achever lors de la bataille aux environs de Vérone (texte du Pseudo
Aurelius Victor: ‘in campis Veronensibus’). La fonction de préfet du prétoire de Julien de Pannonie (indirectement texte de l’Histoire Auguste,
Vita Cari, §
XVI, 4 et texte de Zosime) n’est plus en question parce qu’elle est parfaitement possible au moment de la rébellion, à l’automne 283 de notre ère (Julien de Pannonie et
Aper, suivis en 284 de notre ère
par Aristobulus et
Aper) et aucune source n’indique plus désormais qu’un autre poste aurait été occupé
par Julien de Pannonie. Enfin la divergence au sujet de la date de la rébellion (‘Cari morte cognita’ ou après la mort de Numérien) a été tranchée
par la
numismatique: les monnaies de
Siscia confirment la date de l’automne 283 de notre ère.
En définitive
Aurelius Victor est parfaitement correct en indiquant que la rébellion de Julien de Pannonie a eu lieu ‘Cari morte cognita’, soit à l’automne 283 de notre ère tout en étant silencieux sur le poste occupé
par celui-ci.